Le covid safe ticket illustre parfaitement ce concept systémique de Paul Watzlawick (Réussir à échouer) et de l’école de Palo Alto (Une logique de la communication). A savoir : quand la solution devient le problème.
En d’autres termes : moins ça marche, plus on s’acharne. Car, précise Watzlawick, l’animal humain a une tendance fatale à s’accrocher à ce qu’il connaît… même si cela ne donne rien et que l’on tourne en plein cercle vicieux !
Dès lors parfois, il y a lieu de sortir du cadre, de développer la créativité, et d’élargir nos modes de penser et d’agir. Mais, jusqu’à présent, ce n’est manifestement pas ce chemin-là que l’on a pris.
« Moins ça marche, plus on s’acharne »
Pourtant, la nécessité d’une sortie de la configuration actuelle est d’autant plus impérieuse que les conséquences et les effets pervers qui accompagnent le CST sont accablants :
- Le CST divise la population et oppose les citoyens en deux camps : ceux qui appartiennent au camp du Bien (les détenteurs du CST) et les ostracisés qui ne le détiennent pas. En tout état de cause, une telle disjonction corrode le lien social en produisant son effet toxique sur les individus et le regard que chacun porte sur les autres : « Nous on l’a, mais lui il ne l’a pas », « C’est bien fait pour eux, ils n’ont qu’à se faire vacciner… ». Le CST exerce une discrimination. Il sème la zizanie dans les familles, les groupes d’amis, il accentue l’hostilité entre les membres de la société dans un contexte déjà particulièrement impactant sur le plan psychosocial. Une démocratie ne peut tolérer un apartheid qui pointe le bout de son nez.
- Le CST contraint également les professionnels (salles de spectacles, restaurants, clubs sportifs, etc.) à exercer un contrôle qui n’entre pas dans les missions de leurs métiers.
- Bien plus : l’opposition des citoyens entre eux, ce clivage entre les « bons » et les « mauvais » citoyens induit une tendance au contrôle de tous par tous, qui préfigure l’avènement d’un régime foncièrement anti-démocratique.
- Le CST fait payer un très lourd tribut aux secteurs professionnels qui ont déjà été les plus impactés par le covid depuis deux ans : Culture, Evénementiel, Horeca, hopitaux, maisons de repos et de soins…
- Une telle méthode qui a pour effet de diviser et de mettre en concurrence les individus, relève d’un management d’entreprise ultra-libéral, pas d’une gestion politique encadrée par l’Etat de droit !
- Et le droit, parlons-en : le tribunal de 1e instance de Namur a constaté le 30 novembre dernier, en référé, l’illégalité du CST en Wallonie : https://www.sudinfo.be/id430766/article/2021-11-30/le-covid-safe-ticket-juge-illegal-en-wallonie-le-gouvernement-prend-acte-mais-va
- Ce même tribunal a condamné le jour même la Région wallonne à mettre un terme à cette illégalité dans un délai de 7 jours, sous peine d’astreinte de 5.000 euros par jour de retard. NB : la Région Wallone a fait appel de cette décision : https://www.rtbf.be/info/societe/detail_action-contre-le-covid-safe-ticket-la-region-wallonne-conteste-le-caractere-disproportionne-de-la-mesure?id=10893083
- Notons que ce qui a déterminé le juge de 1e instance dans sa décision, c’est, pour l’essentiel, le manque de proportionnalité entre la mesure prise (le CST) et l’objectif poursuivi (la régulation de l’épidémie). S’y ajoute aussi le problème des données personnelles et des discriminations qui en découlent.
- Du côté des experts, nombres d’entre eux sont sceptiques voire franchement critiques vis-à-vis du CST : « Il n’est guère difficile de trouver des experts qui expriment leurs réserves par rapport à l’efficacité du CST. En plus des questions juridiques, discriminatoires et démocratiques qu’il pose, c’est son efficacité en termes de transmission du virus qui est contestée, d’autant plus lorsqu’il circule abondamment. Le dispositif a certes permis d’inciter une part de la population à se faire vacciner – la question du but précis qui est poursuivi se pose donc. Mais le fameux “faux sentiment de sécurité” revient souvent sur la table puisque l’avènement du CST s’est accompagné d’un accroissement des contacts. Les épidémiologistes Marius Gilbert et Yves Coppieters ou encore l’infectiologue Leïla Belkhir se sont exprimés en ce sens » (LAVENIR.NET- 1/12/2021) https://www.lavenir.net/cnt/dmf20211201_01641672/qui-pour-defendre-encore-le-covid-safe-ticket-de-plus-en-plus-critique?utm_medium=SocialALLFB&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR3KP57AEe0S3EmkQLy45pkowZSc_qkursU36ssORmAr60yYFKSD0EaNwjs#Echobox=1638387955
- En termes de vie privée, le CST soulève bien des problèmes et des interrogations également. Que deviennent nos données répertoriées et/ou scannées ? Qui y a accès ? Qu’en est-il du stockage éventuel de certains fichiers sur les scans de contrôle ? Une association telle que Charta21 suit de près ces questions et va en justice dès lors qu’il y a lieu de défendre les droits à la vie privée des citoyens : https://www.charta21.be/
- Rappelons au passage que la police ne peut plus contrôler les CST, en vertu d’une circulaire du Collège des procureurs généraux. Ce qui a pour effet, d’annuler des dizaines de PV à Bruxelles… https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/la-police-ne-peut-plus-scanner-de-covid-safe-ticket/10350785.html
- Dans cette configuration déjà singulièrement stigmatisante, et toujours dans l’axe de la protection des données, notons qu’Alexandra Jaspar, Directrice de l’APD (Autorité de Protection des Données) et lanceuse d’alerte, a démissionné de ses fonctions suite aux pressions qu’elle a subies après avoir dénoncé les conflits d’intérêts présents au sein de l’institution. La Ligue des Droits Humains a réagi en pointant le fait que ce n’était pas à la direction de démissionner mais bien à ceux et celles qui mettent à mal l’indépendance de l’Autorité de Protection des données. Soulignant dans la foulée la responsabilité du Parlement qui, par son inaction dans cette affaire, s’est rendu complice… https://www.liguedh.be/conflits-dinterets-au-sein-de-lapd-par-son-inaction-le-parlement-se-rend-complice/?fbclid=IwAR2Zwb9lOVs3esiidI6iT-C33CNNWVgq98vfCAGyfxu351CiQqqE4WtFMrU
« Sortir du cadre »
Le bilan du CST est donc plus que problématique, et celui de la gestion covid globale des exécutifs l’est tout autant.
Pour s’en convaincre, il suffit de prendre connaissance de la carte blanche fort bien documentée et argumentée de trois universitaires (Uliège et ULB) : C.Fallon, N.Thirion et E.Paul dans LE VIF du 2/12/2021 : https://www.levif.be/actualite/belgique/nous-accusons-les-gouvernements-d-etre-totalement-denues-des-capacites-necessaires-pour-gouverner-carte-blanche/article-opinion-1498093.html.amp?fbclid=IwAR2VV24PnAHNpbRgOeM3H_uVI9BwptJuqu7xmOU1CpxBrz0ri5dlVaqnx-8&cookie_check=1639255216
Revenons à ce que nous disions au début lorsque nous évoquions la sortie du cadre établi ainsi que la nécessité de développer des alternatives qui prennent en compte la dimension sociale de la crise. De nombreux experts interdisciplinaires s’y sont impliqués et ont formulé des propositions. C’est notamment le cas d’une plateforme (Covid Rationnel) constituée d’académiques et de chercheurs mutidisciplinaires dont les objectifs visent l’équilibre entre la gestion des risques et les droits fondamentaux des citoyens. Pour plus d’infos sur leurs propositions et leurs développements : https://covidrationnel.be/2021/11/14/lettre-ouverte-a-nos-elus-et-nos-medias/
Eric Bruggeman
Infor Jeunes Laeken